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À Paris-Saclay, on imagine ce qu’on mangera et comment on cuisinera en 2050

Chaire Article publié le 08 mars 2024 , mis à jour le 08 mars 2024

Le Parisien, le 1er mars 2024 - Par Cécile Chevallier

Le chimiste Raphaël Haumont, acolyte du chef étoilé Thierry Marx, imagine de nouvelles associations de saveurs mais aussi les matériels du futur pour une gastronomie meilleure pour la santé et plus durable.

Palaiseau, le 1er mars. Raphaël Haumont a parlé de la nourriture et de la façon de cuisiner en 2050
avec moins d'ingrédients, moins d'énergie et moins de déchets. LP/Cécile Chevallier

Oubliez les insectes, la viande artificielle cultivée à partir de cellules animales ou encore les plats à avaler sous forme de gélule. Pour Raphaël Haumont, physicochimiste et directeur du centre français de l’innovation culinaire de l’université Paris-Saclay , la cuisine du futur devra surtout dépenser moins d’énergie, créer moins de déchets et valoriser les ingrédients. Ce vendredi matin, il a parlé « nourriture en 2050 » à l’occasion du premier Paris-Saclay Summit-Choose science qui se tient à Palaiseau (Essonne), sur le plateau de Saclay.

Il devait donner cette conférence avec le chef étoilé Thierry Marx, codirecteur du centre français de l’innovation culinaire, mais ce dernier a été retenu par un entretien avec un ministre. Cela n’a pas empêché des dizaines de spectateurs de se presser pour écouter le chercheur qui officie régulièrement dans des émissions de télévision et de radio.

Raphaël Haumont lance aussitôt une première expérience. Il plonge un ballon gonflable rempli de café dans un bain d’azote à -196°. Quelques secondes plus tard, il ressort le ballon, le découpe et dépose dans une coupe une ravissante boule. « On a une glace au café, sans crème, sans sucre, sans sorbetière, et sans cristaux, dévoile le physicochimiste. On a une texture hyper soyeuse, mais sans avoir ajouté d’additifs. On a utilisé uniquement la chimie des ingrédients et la physique. »

Économiser l'énergie

C’est cet état d’esprit qu’il cultive avec Thierry Marx au centre français de l’innovation culinaire installé à Orsay depuis une dizaine d’années. « On y réfléchit à la cuisine et à la façon de cuisiner de demain, poursuit Raphaël Haumont. Ce lieu dans la vallée de Chevreuse est un mixte entre un laboratoire et une cuisine, où l’on trouve des microscopes et des casseroles. » C’est aussi là qu’ils ont concocté les plats dégustés par Thomas Pesquet et ses collègues astronautes lors de son séjour à bord de la Station spatiale internationale en 2021.

Les casseroles justement occupent leurs réflexions. « On n’a quasiment pas évolué depuis le Moyen Âge, s’étonne Raphaël Haumont. La casserole de demain pourrait être avec un alambic qui récupère les vapeurs odorantes. Car quand vous trouvez que cela sent bon en arrivant chez vos amis pour un dîner, c’est en fait mauvais signe. Cela veut dire que toutes les molécules sympas mais fragiles se sont évaporées. »

La cuisson représente un enjeu important. « Quand on fait cuire un oeuf à la coque trois minutes à l’eau bouillante, on a une partie encore un peu liquide pas très agréable, témoigne Raphaël Haumont. Pour une cuisson parfaite, c’est six minutes à 85°. Il faut arrêter de cuire à 100°, aucun ingrédient ne résiste quand on le fait bouillir. »

Et ces quinze degrés de différence peuvent avoir de gros impacts. « Vous imaginez à l’échelle mondiale les économies d’énergie, relève Raphaël Haumont. C’est la même chose pour les robots qui coûtent très cher et qui ont une puissance énorme. S’ils avaient une lame deux fois plus longue tout en tournant moins vite, ils seraient tout aussi efficaces mais consommeraient beaucoup moins d’énergie. » Le chimiste recommande à tout cuisinier de s’équiper d’un thermomètre de cuisson, et de (re) découvrir le bain-marie.

Moins de sucre

Pour le scientifique, la cuisine de demain doit aussi réfléchir à économiser les ingrédients. « Notamment le sucre, qui coûte cher et sur lequel on doit être particulièrement attentif compte tenu de l’explosion des cas de diabète », insiste-t-il. Pour convaincre l’assistance, il repasse en travaux pratiques en exécutant une mousse au chocolat. Avec seulement du chocolat fondu et de l’eau remués dans un siphon.

Palaiseau, le 1er mars. Raphaël Haumont réalise une mousse avec juste du chocolat fondu, de l'eau et un siphon.
Délicieuse, selon spectateurs. LP/Cécile Chevallier

À voir les réactions des quelques chanceux dans le public qui ont pu en déguster une cuillère, l’effet est plus que réussi. « On obtient une mousse très bonne, quatre fois moins calorique, sans allergène, argumente Raphaël Haumont. Car chimiquement, on a juste besoin de matière grasse, d’eau et de bulles d’air. » En plus du thermomètre de cuisson, le siphon lui semble un ustensile plus qu’indispensable.

Chocolat-concombre : ça matche

La découverte de nouvelles associations de saveurs fait aussi partie des défis de demain. « Certaines paraissent universelles, comme mangue-passion, détaille le chercheur. Cela s’explique car elles partagent 50 molécules en commun. Au centre français, nous décortiquons tout. C’est ainsi qu’on a pu établir que l’association chocolat-concombre, ça marche. Idem pour le comté et le saké. Après, à charge des chefs de trouver la bonne recette pour les marier correctement. Mais cela ouvre de belles perspectives, notamment pour les saveurs des yaourts qui tournent en rond. Figue-café, c’est une tuerie. »

Sans oublier la réduction des déchets en cuisine. Avec la peau blanche des agrumes (habituellement jetée), les scientifiques du centre français de l’innovation culinaire réalisent des gélifiants naturels et même un matériau qui pourrait permettre la fabrication des bouteilles de demain. Ils sont également associés à une start-up pour développer un brevet déposé autour de contenants pour nourriture confectionnés à base d’agar-agar (une algue) qui pourrait remplacer le polystyrène.

« On met cinq minutes à manger un kebab, et la barquette qui le contient va mettre 700 ans à se décomposer, rappelle Raphaël Haumont. Il faut donc travailler sur des emballages bio-inspirés. » Les fèves de cacao représentent également une piste intéressante.

« Quelles que soient les évolutions, la cuisine doit rester source de plaisir, de bien-être, de santé et de gourmandise », conclut Raphaël Haumont avant de prolonger ses échanges avec le public lors d’une séance de dédicaces de trois de ses ouvrages cosignés avec Thierry Marx.